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Soutien au Professeur Rajen Narsinghen

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M. Rajen Narsinghen est professeur de droit constitutionnel à l’Université de Maurice. Il a été directeur du département de droit dans cette même Université. Au cours de sa carrière exemplaire, il a également été diplomate. Je l’ai rencontré pour la première en 1998 à l’occasion d’un colloque ayant eu lieu au Mahatma Gandhi Institute. Depuis lors, soit plus de vingt ans, nous travaillons régulièrement ensemble. À mes yeux, il s’agit d’une personne d’une très grande intégrité morale et d’un professionnel du droit compétent, apprécié de ses collègues et de ses étudiants. Or, il fait aujourd’hui l’objet d’une procédure disciplinaire dans son Université pour avoir critiqué le gouvernement notamment dans plusieurs prises de positions publiques. Il paye donc le prix fort de son engagement politique pris à titre personnel. Comme citoyen français, je m’abstiendrais évidemment de tout commentaire sur la situation politique à l’île Maurice, je me bornerai à me placer ici sur le terrain universitaire en tant que constitutionnaliste et spécialiste des droits de l’homme et des libertés fondamentales (auteur notamment des ouvrages : Droit constitutionnel, Sirey, 2020 ; Droit des libertés fondamentales, Dalloz, 2018).

Outre le fait que cela m’inquiète beaucoup pour M. Rajen Narsinghen lui-même et sa famille, je trouve cette situation extrêmement préoccupante pour la conception des libertés universitaires. Selon moi, il ne peut pas exister de grand pays sans Université digne de ce nom et il ne peut pas exister d’Université digne de ce nom sans garantie des franchises et libertés universitaires.

La première de ces libertés universitaires est la liberté d’expression protégée par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ».

En France, la question est réglée depuis longtemps. Le Conseil d’État a garanti le respect de la liberté d’expression au profit des universitaires sous la forme d’un principe général du droit depuis le début du XXème siècle. Le Conseil constitutionnel, quant à lui, a jugé dès 1977 que les enseignants-chercheurs universitaires devaient même bénéficier d’un principe d’indépendance renforcé. Cette élévation du principe d’indépendance des universitaires au rang constitutionnel signifie que même le Parlement ne peut y porter atteinte. Cela implique aussi que les universitaires peuvent parfaitement prendre des positions publiques, avoir un engagement politique actif. Ainsi, à titre d’exemple, il existe un principe du non cumul des fonctions de député avec tout emploi public, à une exception près au profit de la fonction d’universitaire qui est ainsi, en quelque sorte, « sanctuarisée ». Concrètement, cela signifie que l’on peut être à la fois enseignant actif à l’université et député. A fortiori, un universitaire peut donc parfaitement exprimer des opinions politiques dans la presse.

Il n’existe que deux limites à ce principe. La première tombe sous le sens : au sein de l’Université, l’enseignant ne doit pas transformer sa chaire en estrade d’une réunion politique. De même, qu’il ne peut pas se servir de ses enseignements pour tenter d’influencer ses étudiants, son administration ne doit pas pouvoir exercer de pressions sur lui pour des raisons politiques. La politique doit s’arrêter aux portes de l’Université. Dans son enceinte, la raison scientifique doit toujours l’emporter sur les passions politiques. La seconde limite juridique à l’expression de l’opinion politique des universitaires est celle qui s’impose à tout citoyen français : à savoir l’expression d’une idéologie pénalement réprimée, comme par exemple celle visant à la promotion du racisme ou de l’antisémitisme.

En conséquence, j’espère vivement que l’Université de Maurice, qui a nécessairement à cœur de défendre sa réputation d’excellence et de promouvoir la défense des droits humains auprès de la jeunesse mauricienne, abandonnera ces poursuites disciplinaires à l’encontre de M. Rajen Narsinghen en ce qu’elles portent directement atteinte à la liberté d’expression des universitaires.

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