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Le message politique de la COVID-19 Act

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Avant même qu’une ébauche du projet de loi ne soit rendue publique, les communicants du gouvernement, incarné pour l’occasion par « l’Attorney General » et la personne du Premier Ministre profitaient du temps d’antenne de la télévision nationale pour nous expliquer comment le gouvernement a réussi là où le monde entier est en train d’échouer.

Pendant et même après le confinement, le message officiel a toujours eu comme ligne conductrice de rendre les membres du public, par son indiscipline, responsable de l’aggravation de la crise sanitaire. Tous les jours, les auditeurs de la MBC et des autres médias qui retransmettaient le communiqué du « National Communication Committee COVID-19 Mauritius » (NCCCM) s’abreuvaient de recommandations enrobées de rappel sur l’indiscipline de certains qui servaient de véhicule pour le virus qui, pour reprendre les dires du Dr Gujadar : le virus n’a pas pieds et que c’était les indisciplinés qui lui permettait de se déplacer de personne en personne. Les affres et souffrances de certaines familles qui auraient été contaminé des enfants aux grands-parents en passant par les parents, servaient d’exemples des risques encourus par ceux qui ignorent les consignes du gouvernement. 

Il faut dire que les mauriciens avaient été pris de court ; alors que le 13 mars 2020 le cabinet des ministres prévoyait de profiter de la crise pour attirer plus de touristes, six jours plus tard, le 19 mars 2020, après avoir tenu tout le pays en haleine pendant six bonnes heures, M. Pravind Jugnauth est venu annoncer que le pays était placé sous état d’urgence sanitaire et que le confinement était de rigueur. Cette annonce a été faite à 22h00 et prenait effet à partir de 6H00 le 20 Mars 2020.

Ce fut la panique dans les foyers pendant les minutes qui ont suivi la déclaration du PM, car ce dernier n’avait pas annoncé ce qu’il adviendrait des étudiants. Il avait été très clair sur le fait que personne ne devait sortir pour travailler, ce qui ‘de facto’ incluait le personnel enseignant et non-enseignant des écoles, mais cette absence de précision a fait jaser sur les réseaux sociaux. Le ministère de l’éducation rectifia très rapidement le tir, lorsqu’environ une heure plus tard un média « main stream » publia sur sa page le communiqué du ministère de l’éducation.

Cette anecdote nous donne un aperçu de l’ambiance dans laquelle se trouvait le pays au moment du début du confinement. Les choses allaient empirer dès le lendemain lorsque tous les supermarchés étaient pris d’assaut, malgré les déclarations qui se voulaient rassurantes du Ministre du Commerce, il y avait eu tellement d’information contradictoire au cours des dernières semaines que la réaction populaire était relativement normale.

A partir de là va commencer une campagne de communication qui sera principalement axé sur l’irresponsabilité des mauriciens. Le fait de vouloir s’assurer d’avoir de quoi nourrir sa famille était devenu un acte mettant en danger la vie d’autrui. Pourtant, dans un pays où il n’est pas rare que dans une famille un repas sur trois soit pris à l’extérieur de la maison, il est évident que le besoin en nourriture devient plus grand lorsque l’on est confiné chez soi pour une durée de deux semaines, d’après ce qu’avait été annoncé initialement. Finalement les mauriciens ne sortiront du confinement total qu’à partir du 1er juin 2020 et du confinement partiel, le 15 juin 2020.

Le « New Normal »

C’est un « New Normal » qui nous attendait, avec des mesures extraordinaires pour sauver notre économie. Pour préparer cette nouvelle vie, le gouvernement mauricien a voté une loi qui modifie 57 autres lois, le but de la manœuvre, comme indiqué par l’introduction de la loi, étant de réduire l’impact de la COVID-19. Il est précisé que ces modifications peuvent toucher des choses en relation, ou qui résultent des conséquences de la COVID-19 ou encore qui y sont liés.

C’est en effet l’impact qu’a eu cette loi et il est possible de dégager trois grands types de changement aux lois :

Une première catégorie de changement qui règle les problèmes d’ordre administratif pour faciliter la régularisation des impayés et ne pas pénaliser injustement les abonnés de la CEB et de la CWA, ou encore les contribuables et les compagnies auprès de la MRA. Il en va de même pour les détenteurs d’une licence à renouveler ou de frais administratifs à régler. Les institutions judiciaires et financières sont présent également dans cette première catégorie qui vise principalement à corriger le temps et les délais impartis pour effectuer des paiements qui sont dû aux services publics et aux administrations publiques et parapubliques.

Une deuxième catégorie de changement concerne l’aspect sécuritaire. Ainsi les libertés sont réduites et les amendes et peines encourues pour le non-respect des nouvelles règles sont revues à la hausse ; comme on peut le voir sous la section 43 notamment avec la « Police Act » qui est amendée.

Une troisième catégorie se dégage du texte de loi, celle-là adresse des questions qui ne sont pas seulement lié à corriger les impacts de la COVID-19 mais donne des indications à propos de ceux qui vont porter la responsabilité des conséquences économiques de cette situation.

Citoyens et travailleurs v/s operateur économique

Voyons d’abord les conditions de travail qui ont été revues afin d’offrir plus de ‘flexibilité’ aux employeurs, c’est-à-dire, d’avoir le droit de revoir les conditions d’emplois et de travail de ses employés en évitant de passer par les négociations avec les syndicats avec la sections 72A et les modification apportés à la « Employment Relation Act » . Le gouvernement était tellement sûr de ce qu’il faisait sur ce coup-là, qu’il a dû revoir sa copie encore une fois avec la « Finance Miscellaneous Act 2020 » qui a ramené des retouches à cette nouvelle section de la loi du travail mauricienne. La conséquence directe des changements apportés à la loi fut que les employeurs ont utilisé la section 72A comme épouvantail, cette section donne les pleins pouvoirs pour licencier au « Redundancy Board » si l’employeur peut justifier qu’il n’a pas d’autres moyens pour sauver son entreprise. Beaucoup d’employeurs ont utilisé cet argument même si la nouvelle disposition ne leur était pas applicable. Toutefois, et même si le ministère du travail a fait ses efforts pour protéger les employés en circulant des communiqués informant que la section 72A ne s’applique que pour Air Mauritius et AirMate, cette information étant très peu relayée par les médias « main stream », la conséquence a été que beaucoup d’employés se sont sentis obligés d’accepter des transactions qui n’étaient guerre à leur avantage alors que d’autres se sont vus licenciés pour cause de COVID-19. On ne peut nier non plus que les travailleurs mauriciens sont victimes de leur propre ignorance car ils ne connaissent pas leurs droits et ne s’en inquiètent que lorsqu’ils sont en difficultés.

Les travailleurs mauriciens en ont d’ailleurs subi les conséquences quand est entré en vigueur l’amendement de la loi de travail permettant à l’employeur d’imposer le travail à la maison. Il suffit à l’employeur d’en informer au préalable l’employé un minimum de 48 heures à l’avance. Bien que les dispositions légales déjà prévu à ce sujet prévoient la nécessité de s’assurer que les règles applicables en matière de « health and safety » doivent être garanties, la nouvelle approche de la loi fait que cela n’est plus une priorité. L’employeur doit toujours fournir du matériel ergonomique et adapté à l’usage externe à l’entreprise, mais l’espace disponible chez l’employé, la climatisation, le bruit ou encore la disponibilité ou non d’une connexion internet deviennent secondaires. D’ailleurs beaucoup d’employés en ont fait les frais en étant sanctionné soit par un licenciement ou alors par un avertissement pour avoir refusé de travailler de chez eux sans que leur employeur ne leur procure tous les équipements nécessaires.

Le bureau du travail étant confiné, la seule solution proposée : le ‘Workfare Program’.

L’Ordre Public v/s l’ordre économique.

Cette mesure était nécessaire pour permettre à certaine compagnie de continuer à fonctionné. Mais était-il nécessaire de donner à cette mesure, passée dans l’urgence, un impacte sans limite dans le temps sur le droit pour un employeur de faire travailler à domicile ses employés ? On pourrait plus difficilement voir dans cette décision une orientation politique à la défaveur des employés, si elle était accompagné d’un délai d’application qui prenait fin en même temps que le confinement. Cette nouvelle version de la loi du travail fait que ce sont les travailleurs qui doivent faire preuve de flexibilité et avoir les ressources nécessaires pour continuer à faire fonctionner leur entreprise. Toutefois cela dépasse le cadre de l’Ordre Public et déborde sur une question d’ordre économique. La question se pose donc de savoir si dans de telle situation, c’est-à-dire pour des besoins économiques et non d’Ordre public, l’Etat peut-il priver un individu du droit de consentir ou non à ce que son environnement professionnel envahisse son domicile et l’intimité de sa vie privée ? 

Dans sa version d’avant les élections de 2019 le législateur voyait pourtant nécessaire de faire viser le contrat pour le travail à domicile par un tiers (qui pouvait être soit un officier du ministère, un avocat ou un représentant d’un syndicat). Il apparaît que face à la nécessité économique, l’Etat estime raisonnable de permettre aux employeurs de régler ces questions de rémunération directement avec leurs employés. Le nouveau cadre proposé peut occasionner des abus où l’employé finance de sa poche le fonctionnement de l’entreprise de son employeur lorsque ce dernier réduit son salaire au lieu de l’indemniser pour l’utilisation de sa maison comme bureau. Le gouvernement a décidé qu’il s’agit d’un risque raisonnable. On peut dire que de ce point de vue l’humain est mis au second plan face aux personnes morales que sont les compagnies et les opérateurs du secteur économique.  Il s’agit d’une décision clairement politique parce que si la loi n’avait pas donné le droit à l’employeur de l’imposer, cela l’aurait obligé à négocier avec l’employé pour qu’il travaille de chez lui. Par email ou à travers des échanges Whatsapp ou SMS, il y aurait eu des traces du consentement de l’employé et des conditions acceptées. Sans la loi, la négociation avec les employés et leur représentant aurait été obligatoire.  

L’irresponsabilité de la personne morale

« Une personne morale est un groupement ayant une existence juridique lui conférant à ce titre des droits et des obligations. Elle se voit notamment attribuer un patrimoine propre, un nom, un domicile ainsi que la capacité d’agir en justice ou de conclure des contrats (pour acquérir des biens meubles ou immeubles par exemple). La personne morale est une entité juridique à part entière : elle est distincte des personnes physiques ou morales qui l’ont créée.[i] »

Un autre texte de loi est revu avec la « COVID-19 Act 2020 », la « Banking Act ». Ce qui change dans ce texte et qui peut surprendre c’est qu’une loi donne un ordre au comité directeur de la banque de Maurice, afin que cette institution ‘indépendante’, qui a pour fonction principal de garantir l’indépendance de la monnaie mauricienne, accorde au gouvernement tout montant requis pour financer le plan du gouvernement pour stabiliser l’économie mauricienne. Avant cet amendement, la banque de Maurice, en plus, de son indépendance garantie, avait pour mission d’œuvrer pour maintenir la stabilité des prix et promouvoir un développement économique ordonné et équilibré (Bank of Mauritius Act : Section 4(1)). Il semble qu’il sera difficile pour la Banque de Maurice de continuer à fonctionner comme une autorité régulatrice si elle est soumise aux ordres du gouvernement. Bien sûre, c’est un contexte exceptionnel, alors il faut des mesures exceptionnelles. Toutefois en s’aidant de la sorte, en légiférant, le gouvernement ferme toute possibilité de dialogue entre le ministère des finances et le gouverneur de la Banque de Maurice. C’est ce qui est décidé dans le conseil des ministres (où ne siège pas le gouverneur de la Banque de Maurice) qui devra être mis en œuvre par la Banque de Maurice.

Les lois suivantes : la « Companies Act » et la « Insolvency Act » qui ont également été revu, nous donne une indication de la rigueur que l’Etat impose aux personnes morales qui sont les acteurs du secteur économique. D’abord en ce qu’il s’agit de la solvabilité, son seuil est rabaissé. Ainsi, alors qu’avant la « COVID-19 Act » un endettement de Rs 50,000 suffisait à permettre aux créanciers d’enclencher des procédures judiciaires pour récupérer leurs dû, ce montant est maintenant ramené à Rs 100,000.  En plus de rehausser ce plafond, les changements à la loi protègent les directeurs des compagnies avec la modification de la section 162 du « Companies Act » qui normalement prévoit d’engager la responsabilité des directeurs qui n’auraient pas agi promptement lorsqu’une compagnie est en situation d’insolvabilité.

La solution pour le gouvernement semble donc d’être la réduction des salaires sans protéger les travailleurs vulnérables, alors que les personnes morales comme les compagnies qui sont les employeurs, voient leur niveau d’endettement être rehaussé. En parallèle, le gouvernement accorde de l’argent depuis les fonds de la Banque de Maurice à travers la « Mauritius Investment Corporation » aux secteurs hôtelier pendant que les travailleurs d’Air Mauritius ne touche plus que le tiers de leur salaire et que ceux du secteur hôtelier ont vu leurs revenues baissées de moitié car il n’y a plus d’heures supplémentaires.

Le « Covid-19 Act » modifie 57 lois et au passage change l’esprit des dispositions qu’établissent certaines d’entre elle, comme nous venons de la voir avec le « Banking Act ». La banque centrale mauricienne est-elle maintenant un appendice du cabinet des ministres ? Le parlement mauricien utilise tous les ans cette procédure, voté avec la loi de finance, une loi contenant des amendements dans diverses autres lois, et la procédure n’a rien de dictatoriale. Toutefois, le fait d’utiliser cette procédure pour permettre à une loi de changer les principes d’un contrat, ou au gouvernement d’obtenir de l’argent de la Banque de Maurice, est digne d’un Etat voyou qui méprise la démocratie et les libertés individuelles. Car se faisant l’Etat utilise son pouvoir de législateur pour restreindre les libertés dont devraient bénéficier les personnes physiques et morales.  


[i] https://droit-finances.commentcamarche.com/faq/4262-personne-morale-definition

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Ivor Tan Yan
Négociateur et militant engagé | « Détenteur d’un Master en Droit obtenu à l’Université Lumière de Lyon en France, Ivor Tan Yan est engagé dans la lutte pour les droits des travailleurs. Il a également participé activement dans le combat contre la carte biométrique en 2014 et le combat écologique mené par le « Kolektif Ekolozik Albion » pour la préservation d’Albion et de Pointes-aux-caves. Il est également engagé dans le combat contre la corruption auprès de l’organisation « Youth Against Corruption ». Sur la scène politique, c’est comme secrétaire général du parti 100% Citoyens qu’il promeut le mauricianisme comme solution politique pour une meilleure société mauricienne. »

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