Nous sommes le 31 Mars 1839, les anciens esclaves, devenus apprentis, depuis l’abolition du système servile le 1er Février 1835, sont libérés.
La coïncidence de l’histoire veut que ce jour-là corresponde au Dimanche de pâques, fête de la liberté, par excellence, pour les chrétiens.
Cependant qu’est-ce que la liberté, lorsqu’elle n’a pas été préparée ? Aussi, en ce Dimanche de pâques, en dehors des ouvriers , les anciens esclaves se retrouvent à la rue. Ils sont libres, oui, mais ils sont en proie a la misère et a tous les vices.
Une de leurs rares références a la dignité et à la liberté, sont les chaussures. Celles-ci étaient strictement interdites aux esclaves Maintenant ils pourront enfin les porter pour montrer qu’ils ne sont plus enchainés ! Aussi, à partir de ce Dimanche de pâques, commence la ruée vers les cordonniers.
Ce sera ainsi, pendant plusieurs week-ends. Il va falloir que les cordonniers mettent les bouchées doubles pour répondre à plus de soixante milles demandes.
Ayant travaillé une semaine, y compris le week-end, les fabricants de souliers prennent un jour de repos le lundi. C’est ainsi que débute a Maurice le fameux ” Lundi cordonnier “.
L’ancien esclave peut certes porter des souliers, mais, les cailloux de l’exclusion, de la pauvreté et de l’ivrognerie sont restés collés à ses pieds. Et, dans les chaussures, un caillou ca peu rendre fou !
Le 13 Septembre 1841, la situation s’est détériorée, les anciens esclaves sont à bout. La révolution pointe le bout de son nez. Ce soir la, un groupe de noirs va mettre le feu au dépôt d’alcool à Port-Louis.
Celui qui va tout désamorcer est arrivé à bord du Tanjore. Cependant, il ne peut débarquer car c’est un lundi. Le personnel du port chôme, comme les cordonniers !
Ce n’est que le lendemain qu’il foulera le sol d’un pays déchiré par la discrimination, l’addiction et autres exclusions. Avec lui, vient la résurrection d’une Eglise moribonde. Avec lui vient la dignité, non par les souliers mais par la religion. Avec lui vient le pardon pour les coups de fouets, l’accueil du travailleur étranger, la relance économique et la fermeture des alambics car l’ivrognerie fond sous sa bonté et la discipline qu’il fait instaurer a travers les évangiles.
Lui, le Père Jacques Désiré Laval, apôtre de l’unité nationale et leader incontesté de la révolution morale et sociale à un tournant crucial de notre histoire.
L’église et le pays ne pouvaient trouver meilleure paire de chaussures pour parer leurs pieds meurtris. A l’heure ou nous parlons beaucoup de discipline, de collaboration et de reconstruction, son exemple est une source d’inspiration.
L’isolation sociale temporaire a-t-elle été le moment idéal pour poser les bases du monde dans lequel nous souhaiterions évoluer après le confinement ?
Les êtres sincèrement motivés par l’amour vrai, tel le Père Laval, devraient certainement nous aider à nous débarrasser de ces vilains cailloux qui nous écorchent les pieds, même dans les plus onéreux des souliers.
Et aimer est une décision qui se prend au présent, de jour comme de nuit, même les lundis et ca, c’est un cordonnier qui me l’a dit …