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Maurice s’engage-t-il dans le “country preparedness” et la modernisation du secteur de la Santé?

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romabrijmohun

Au vu de la détresse mondiale dans laquelle la pandémie de la Covid-19 a plongé le monde entier, on aurait pu croire s’attendre à ce que le Budget 2020-2021 braque longuement les feux sur l’objectif de “country preparedness” pour le futur. Aujourd’hui, le secteur du tourisme s’y accroche, la meilleure alliée pour Maurice dans son projet de relance économique est sa capacité à garantir et prouver que le pays est doté d’un des meilleurs états de préparation aux urgences sanitaires.

            Or, le Budget 2020-2021, nous a laissé sur notre faim en ce qui concerne le Secteur de la Santé. Pour l’heure, tout ce qu’on en saura, c’est la part budgétaire consacrée qui est de Rs 12 milliards, et l’annonce d’un projet, “un plan stratégique 2020-2024” qui est en cours de formulation par le ministère de la Santé et du bien-être. Un petit rappel s’impose cependant: pour l’exercice 2019-2020, ce même budget pour le secteur de la santé… était passé de Rs 12.2 milliards à Rs 13.1 milliards! Donc, contre toute attente, et ce malgré la pandémie, le budget santé a tout bonnement régressé de Rs 1,1 milliard!

D’autre part, si nous parcourons les analyses budgétaires des cabinets d’audits et analystes financiers qui sont parues depuis jeudi dernier, nous constatons qu’elles n’évoquent que très peu ce secteur de la santé. Au mieux, elles s’autorisent une ligne de commentaire laconique sur les Rs 12 milliards. The “New Normal”, on le suspecte, repart sur les anciens rails comme si la pandémie n’était, en somme, qu’un gros accident de parcours. Or, la santé est vitale et devrait mieux intéresser les acteurs économiques et dorénavant rester au cœur des débats, elle devrait devenir un facteur de risque à intégrer dans les analyses et prévisions, Avec les bouleversements climatiques et la pollution à échelle mondiale, cette pandémie n’est peut-être pas la seule catastrophe sanitaire qui guette notre économie. Et notre service de santé doit être prévoyant et prête à réagir et influer sur le cours des choses.

La pandémie de la Covid-19, nous a montré nos faiblesses et, aujourd’hui, il est clair qu’un des piliers d’une économie durable est la prévoyance, l’efficience et la réactivité de son service de santé. Cela dans une définition plus large que la consultation, l’hospitalisation et le traitement en phase aigue de la maladie. Les considérations de santé doivent revenir au cœur des entreprises, au cœur des décisions de planification urbaine, au cœur des programmes d’actions sociales et éducatives, voir au cœur des accords bilatéraux et internationaux. C’est cela “the new normal”.

On aurait pu s’attendre, par exemple, à un renforcement du dispositif de médecine du travail au niveau national et à travers les secteurs. Qu’il s’agisse d’employés en poste sur le lieu de travail, ou en mode “work from home”, la mise en place d’un rendez-vous obligatoire auprès des médecins du travail aurait pu devenir “the new normal”. Cela d’autant plus que le “work from home” étant un nouveau mode de travail, l’accompagnement par  la médecine du travail pourrait permettre de détecter les nouveaux facteurs de stress physique ou mental des travailleurs, et donner lieu à des recommandations en termes d’organisation des horaires et des conditions de travail. Le plan stratégique du Ministère de la Santé prendra-t-il ce changement de mode de travail en considération? Car des aspects cruciaux devront être examinés, notamment en termes de définition de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle.

Le Budget a fait la part belle a la relance du secteur de la construction, notamment Rs 5 milliards injectés dans le projet Metro Express, sans explication aucune sur la nécessité de cet investissement. Le citoyen lambda se serait lui attendu a ce qu’on injecte ces milliards dans la mise en conformité des établissements de soins aux nouvelles normes de sécurité sanitaire, à l’annonce d’achats d’équipements de protection pour le personnel soignant, à une accélération des projets de prise en charge à domicile, de consultations en télémédecine, au recrutement de personnel hospitalier supplémentaire, à l’introduction de bourses d’études pour couvrir des formations continues en ligne pour le personnel médical et soignant, voir un renforcement des campagnes de prévention à destination des scolaires.

On aurait pu s’attendre à des dispositifs courageux, en collaboration avec les services sociaux, pour un plan de prise en charge des risques pouvant survenir dans des catégories de population plus exposées, comme les travailleurs étrangers vivant dans des conditions basiques, les sans domicile fixe, les travailleurs du sexe, les personnes en situation sociale fragile. Amélioration rapide des infrastructures existantes, renforcement des campagnes de prévention et détection, provision de meilleurs équipements de travail, logiquement, ces priorités auraient pu être abordées.

On peut aller plus loin dans notre questionnement. Le Fonds Monétaire International a-t-il débloqué  des fonds d’urgence dédiés au renforcement du dispositif sanitaire du pays? Si oui, est-ce qu’un éclairage sur les fonds reçus, utilisés et restants à être consacrés au secteur de la santé ne serait pas la bienvenue. Non pas sur fond de suspicion, mais bien en gage de transparence, pour impliquer le grand public dans ces décisions touchant leur santé et celle de leurs proches, et aussi pour rassurer les observateurs internationaux.

Réfléchissions aussi à une autre leçon de la pandémie du Covid19 qui est l’affaire de la revue médicale The Lancet, sur l’hydroxychloroquine. Suite à la parution d’un article, reposant sur des données qui se sont révélées peu fiables à la fin, même le gouvernement Français avait annoncé la suspension du traitement à base d’hydroxychloroquine, pour se rétracter peu de temps après. (L’Histoire retiendra, pour l’anecdote, l’annonce ferme du Dr Joomaye que Maurice poursuivrait ses traitements à base d’hydroxychloroquine sans interruption.)

Cette affaire met en lumière l’importance pour un pays de maitriser le flux et la véracité des données de santé en vue de prendre des décisions pouvant immédiatement impacter la vie des patients. Le Budget 2020-2021 et l’Annexe indiquent le déploiement de systèmes d’informations pour la gestion du stock et la gestion de données de laboratoire. Or, il n’y a, pour l’heure, aucune indication que ces systèmes informatiques soient compatibles avec une solution centrale qui serait déployée pour l’ensemble du domaine de la santé. Malheureusement, en démultipliant les solutions informatiques, on irait au-devant de nombreuses complications qui feraient surface quand le pays se déciderait à implémenter un dossier patient unique et souhaiterait suivre les coûts de séjour des patients. C’est lorsqu’on veut constituer l’ensemble d’un parcours qu’on se heurte réellement aux difficultés des solutions informatiques multiples à communiquer entre elles. Le plan stratégique 2020-2024 du ministère de la Sante tiendra-t-il compte de ce facteur?

Un système centralisé permet de connecter les différents départements des établissements de soins. Cela facilite la transmission d’information que ce soit à la verticale, vers les autorités régulatrices et les fournisseurs, ou à l’horizontal, entre établissements et antennes. Or, si l’on adopte des solutions informatiques à l’emporte-pièce, on risque de retarder notre entrée dans l’ère numérique et de perpétuer les mêmes problèmes : doublons, pertes de résultats, pertes de dossiers, difficultés à extraire les données, formats de fichiers incompatibles, risques de fuites de données nominatives et ainsi de suite.

Prenons, par exemple un parcours patient complexe. Un patient reçu en urgence en mediclinic dans un village est transféré dans un premier hôpital de proximité, mais après son état de santé se dégrade et il est -transféré, en urgence, vers un autre établissement pour une intervention, et, finalement, il est renvoyé au premier hôpital pour rééducation. Dans la réalité, le suivi se fera à travers des dossiers transmis des uns aux autres, passant de main en main, avec tous les risques que cela comporte. Or, dans un système informatique centralisé, le parcours compliqué de ce patient pourrait être rapidement retracé: identité, transferts, frais d’ambulance, diagnostics, détail des actes de soins infirmiers, données de radiologie, de biologie, de biopsie, prescriptions de médicaments, prescriptions de dispositifs médicaux, recommandations de diététicienne, de rééducation et ainsi de suite. Par contre, si ce même parcours patient est suivi dans différents systèmes d’informations qui ne communiquent pas entre elles, les délais de transmission s’allongent, des doublons sont créés sur toute la chaine, des demandes d’autorisations deviennent nécessaires pour transmettre les informations. Et, au final, on perd du temps de personnel et du temps patient et on augmente les coûts sur toute la chaine.

La nécessaire modernisation des établissements de soins doit se faire en bonne intelligence avec les fournisseurs de solutions informatiques de calibre international, capables de prévoir les problématiques d’hyper convergence des données, d’archivage, de cyber sécurité, de transmission locale, régionale et internationale des résultats, de connectivité avec les nouveaux supports comme les tablettes et téléphones mobiles et d’adaptabilité à des situations de prise-en-charges complexes. D’opter pour une solution nationale d’information médicale, déployée sur l’ensemble des établissements majeurs et mineurs, y compris les antennes spécialisées et les laboratoires, serait un vrai pas en avant à plusieurs niveaux. Déjà en termes de formation, le personnel médical, soignant et administratif n’aurait pas de mal à s’adapter en changeant d’établissement.

De plus, l’accès aux données permettrait de mieux cartographier et identifier les pathologies récurrentes et émergentes. Comme cela a été le cas pour la Covid-19, on pourrait, même à posteriori, rapidement retrouver des patients ayant présenté un ensemble de symptômes qui n’avaient pas été pris en compte au début de la pandémie. On ne peut qu’espérer que l’ouverture d’un établissement hospitalier universitaire à Flacq en 2021 coïncide avec le déploiement d’un système d’information national, ce qui permettra à Maurice de développer une lignée de chercheurs en données épidémiologiques de premier plan. Quoi de mieux pour rassurer nos visiteurs, investisseurs, retraités internationaux et High Net Worth Individuals, que de garantir que la vie humaine, dans un pays paisible, est au centre des préoccupations et donne lieu au plus haut niveau de recherche, développement et planification de notre pays? Mais Rs 12 milliards, suffiront-ils pour atteindre cette barre?

Encadré:

Quelles sont les mesures annoncées dans le Budget 2020-2021 concernant la Santé?

A – Les mesures concernant le Secteur de la Santé

– Un budget de Rs 12 milliards est accordé au secteur de la santé
– Un plan stratégique pour la période 2020-2024 est en cours d’élaboration par le Ministère de la Santé
– Maurice sera doté d’un National Centre for Disease Control and Prevention.
– De nouveaux dispositifs et infrastructures sont annoncés comme suit:

a) Un centre de cancérologie, doté d’équipements sophistiqués, verra le jour en Décembre 2020;
b) Un hôpital de soins pour les affections de l’œil sera opérationnel à Réduit Triangle d’ici le mois d’octobre 2020;
c) La construction d’un hôpital universitaire démarrera à Flacq début 2021;
d) Une unité de greffe rénale sera inaugurée au JNH Hospital;
e) Un nouveau Laboratoire National doté d’appareils de haute technologie permettra d’augmenter la capacité nationale en matière de dépistage
f) Un nouvel entrepôt permettra de stocker les produits pharmaceutiques dans des conditions optimales
g) Un dispositif informatique, le National Laboratory Information Management System (LIMS) sera implémenté.

B – L’industrie pharmaceutique en primauté

À noter, qu’en parallèle, une batterie de mesures est prévue dans une section consacrée à l’industrie pharmaceutique

  • Un Medical Products Regulatory Authority Bill sera introduit.
  • La taxe d’enregistrement pour l’acquisition de biens immobiliers dans le domaine des sciences de la vie seront supprimées.
  • Les centres de recherche et développement (R&D) médical bénéficieront d’une exonération de la TVA sur les matériaux de construction et les équipements spécialisés, et d’une double déduction sur les dépenses de R&D.
  • La loi sur les tissus humains “Human Tissue Act”, sera proclamée.
  • Un cadre réglementaire sera mis en place pour les plates-formes de télémédecine.

C – Lutte contre le Diabète

Comme mesure de lutte indirecte contre le diabète, la taxe sur les additifs sucrés sera doublée et passera à 6 sous par gramme de sucre contenu.

D – En annexe

– L’annexe au Budget fait les provisions suivantes :

  • Un Health and Wellness Centre : Le Centre fournira des services techniques pour promouvoir la santé physique et mentale. Il mènera également des recherches et contribuera au développement de produits pharmaceutiques et de dispositifs médicaux
  • Amendement du Medical Council Act. Premièrement, approuver l’enregistrement d’un médecin s’il a réussi aux examens faits par un organisme d’examen médical de réputation internationale agréé par le ministre de la santé en consultation avec le Conseil des Médecins. Deuxièmement, supprimer l’obligation pour une personne de se soumettre à un examen d’entrée avant d’être enregistrée comme “pre-registration trainee”.
  • Système de gestion des stocks E-IMS: Un système informatisé de gestion des stocks (e-IMS) a été introduit pour automatiser la gestion des stocks dans les entrepôts du gouvernement. D’ici la fin juin 2020, le déploiement de l’e-IMS du système sera achevé au ministère de la santé et du bien-être, ce qui permettra d’augmenter le niveau d’efficacité dans la gestion des stocks.

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