La «refondation» de la politique est une urgence si nous voulons avoir une place dans le monde de demain, ou simplement pour notre survie. Les questions du renouveau politique, du renouvellement-rajeunissement, de la perte de crédibilité et de la vacuité de partis politiques traditionnels sont à l’agenda. De nouvelles forces se dessinent – certaines en pointillé –, soulevant la problématique des offres politiques s’inscrivant dans un projet sociétal.
Dimensions et perversion
Et si on commençait par les fondamentaux avec les deux dimensions de la politique : le pouvoir et la gestion d’un pays dans l’intérêt général. Le pouvoir, c’est la lutte pour le conquérir ou le conserver. C’est une activité centrale d’une société impliquant un processus, une finalité et les moyens pour y arriver. La seconde dimension implique une recherche pour trouver un équilibre entre ces deux dimensions. La politique réduite à sa seule dimension «pouvoiriste» en est une conception pervertie.
À Maurice, nous subissons cette perversion depuis qu’il n’y a plus de différences de projet entre les blocs politiques traditionnels, il y a près de trente ans. Une des conséquences a été la guerre des places entre les dirigeants et la guerre des «bout» entre les proches, petits copains, partisans et cliques. Il est question de femmes et hommes politiques davantage préoccupés à se servir et à caser et protéger des «petits copains et copines», sans se soucier de la compétence et de la méritocratie dans le choix des collaborateurs. Sur fond de clientélisme ethno-électoral, le principe d’égalité citoyenne est bafoué avec pour conséquence un profond sentiment d’injustice, d’exclusion, de discrimination chez ceux qui sont victimes de ces pratiques. Quand la politique devient source de tels clivages et d’un tel ressenti, elle se dénature et porte atteinte au vivre-ensemble si nécessaire à la paix sociale et à l’unité.
Divorce et crise
Au sein d’une partie plus ou moins importante de la population mauricienne, il existe un sentiment de rejet du comportement de nos politiques. On leur reproche de ne s’occuper que de leurs intérêts personnels et de ceux de leurs proches au détriment d’une approche qui privilégierait l’intérêt général avec un souci d’efficacité et de transparence. En clair, on reproche à une grande majorité de la classe politique d’être dans la politique pour se servir plutôt que de servir. La politique est aussi minée par une profonde crise morale.
Concrètement, cela se manifeste par de multiples cas de fraude, de corruption, de passe-droits, d’abus de pouvoirs, de trafic d’influences, de conflits d’intérêts, d’ingérence où les hommes et femmes politiques sont impliqués ou associés. Nos institutions traversent une crise éthique, avec la corruption par l’argent sale, l’argent-roi, l’argent dieu, l’argent-diable. Une majorité de l’opinion perçoit les politiques comme étant les plus corrompus parmi tous les corps de «métier». Une idée très répandue à Maurice, c’est qu’il n’y a pas de culture de l’honneur, que la notion de responsabilité engagée est superbement ignorée. Pire, ce serait la «culture de l’impunité». Il y a urgence pour résoudre la crise du politique afin qu’elle retrouve ses lettres de noblesse, son sens et essence.
Le fondement de la République est le principe de l’égalité citoyenne. Partant de là, il faut en finir avec l’ethnicité structurant notre paysage politico-électoral. Des combats sont en cours dans ce sens. La proportionnelle est une nécessité pour que le corps électoral de la démocratie représentative soit un reflet juste et équitable de la pluralité des courants et sensibilités traversant la société. L’assainissement passe aussi par l’«accountability» des élus avec obligation de résultats à tous les niveaux. La destitution devrait aussi être à l’agenda et débattue.
Les volets
La refondation/renouveau comporte plusieurs volets. D’abord, le financement des partis. C’est un aspect du rapport malsain entre la politique et l’argent, les partis et les forces de l’argent – souvent sale – avec comme conséquence une perversion et un détournement de la démocratie. Une critique de fond porte sur la collusion des élites économiques et politiques en lien avec le modus operandi de leurs rapports où l’argent jouerait un rôle clé. Il faut légiférer pour instaurer la transparence.
L’enrichissement inexplicable de trop nombreux hommes politiques doit être traité par une législation «foolproof» touchant à la déclaration des avoirs. Tout élu trouvé coupable par une cour de justice pour fraude, corruption ou autres pratiques associées doit être inéligible à vie. L’élu doit rendre des comptes de ses actes, y compris entre deux élections.
Une réforme en profondeur de tout ce qui concerne le rapport mandants- élus est nécessaire pour combattre le dysfonctionnement, voire la dérive, de la démocratie représentative. Certains avancent qu’il faudrait introduire dans une nouvelle Constitution le principe du référendum sur les sujets qui engagent la société et le pays. À débattre. La démocratie participative qui répond à une aspiration grandissante peut certainement contribuer à solutionner la crise du politique. Cela passe par la consolidation de la société civile et des contre-pouvoirs.
Le renouveau politique passe par la bonne gouvernance dans le fonctionnement de l’État à tous les niveaux et touchant un grand nombre de domaines, de l’allocation de contrats aux nominations aux postes stratégiques en passant par les promotions. L’adhésion des politiques à une charte de conduite conforme aux principes d’une république citoyenne démocratique, disant non à la discrimination et à l’incitation à la haine raciale est nécessaire. Il passe par le principe sacro-saint de la séparation des pouvoirs couplée à l’accès à l’information.
Les approches
Le renouveau/«refondation» ne se réduit pas à une question de rajeunissement, tout aussi important, voire fondamental, qu’il puisse être. Méfions-nous du jeunisme et du «faisons table rase du passé». Dans le débat, deux courants s’affrontent : un «soft» et un radical. Le premier souhaite plus de coopération entre les différents acteurs de la société à travers un dialogue national entre les politiques et une société civile plus active pour promouvoir les vraies valeurs républicaines. Ce courant veut œuvrer pour la reconstruction de la société sur les bases déjà existantes tout en se débarrassant de ses travers. Le second, plaide pour un renouvellement de la classe politique dans son ensemble, condition d’un nouveau départ. Ses adeptes veulent mettre à mal l’ordre conservateur et soutiennent que le pays a besoin d’une révolution citoyenne, menée et soutenue par les forces progressistes pour des réformes structurelles et institutionnelles afin d’assainir le système et les pratiques. Et comme les partis traditionnels ont failli dans cette tâche, ils doivent disparaître pour céder la place à une «nouvelle force» s’appuyant et s’articulant avec des plateformes déjà existantes et à venir comprenant instances syndicales, ONG, et citoyens et leaders d’opinions progressistes. Qu’en est-il de la population?
Attention aux analyses qui consistent à tout mettre sur le dos des politiques. C’est facile, voire lâche. L’électorat aussi a été contaminé et a sa part de responsabilité quand il marchande son vote pour obtenir des faveurs – un travail, une patente, un lopin de terre, une nomination… Et une fois les élections terminées, arrive le temps de la distribution des «bout» avec son lot de satisfaction plus ou moins grande, de frustration plus ou moins sourde et de contestation manifeste et latente. Il faudrait une vaste, intense et longue campagne d’éducation civique pour sensibiliser toute la population que le système politique en cours est contraire aux règles de l’égalité citoyenne, fondement d’une république démocratique.
Quand on sait que la classe politique «mainstream», tous partis confondus, ne semble pas croire qu’il y a une crise du politique ; quand on observe que ceux au gouvernement et dans l’opposition officielle s’accusent mutuellement de démagogie et/ou d’incompétence tout en se présentant comme des modèles, il y a de quoi être sceptique. Est-ce que les forces proposant l’alternance ont la capacité de se mobiliser dans l’unité pour porter un mouvement dans le sens d’une «refondation»? La partielle va être un test.
Sursaut national
Depuis 30 ans, le développement de la société mauricienne a fait les frais de la confusion entre cycle/ phase de développement et cycle électoral. Aujourd’hui, l’enjeu est plus grave et le temps presse ! Comme de nombreuses sociétés, nous sommes dans l’entre-deux, comme l’a analysé A. Gramsci. C’est dans cette dynamique d’une civilisation à imaginer et à créer qu’il faudrait dégager une offre politique et sociétale. Le chantier est complexe, difficile, car il faut compter avec une grave atomisation sociale, le «tout-à-l’ego» encore trop présent et de nécessaires clarifications idéologiques. Peut-on s’attendre à un sursaut national ? Ils sont nombreux qui n’y croient pas. L’heure est au rassemblement, à l’unité des forces de progrès pour un projet de société porteur d’avenir. Les saupoudrages de certains et maquillages plus ou moins grossiers des autres sont connus.
Au final, la «refondation» c’est œuvrer dans le sens d’une démocratie dialogale pour servir l’autorité démocratique et non celle oligarchique et techno-bureaucratique. Une autorité démocratique vivante nourrie par une société civile mobilisée, dynamique et vigilante. Le temps presse pour bien négocier ce tournant décisif.