A l’heure où l’on parle d’un nouveau monde, il me semble primordial de travailler sur les piliers de ce qui nous construit en tant qu’individu, et l’un d’eux est l’éducation. Nous pourrons instaurer toutes les réformes possibles, mais si d’abord l’éducation n’est pas transformée, alors nous continuerons d’éduquer les mêmes individus avec les mêmes mentalités et toutes les réformes ne seront que vaines utopies.
Je ne parle pas de changer un programme ou d’alléger un concours, mais de radicalement transformer le paysage éducatif. Je parle ici de l’ouverture d’esprit des enseignants et de la direction, de la pédagogie, de ne pas avoir peur de se remettre en question, de prendre des risques, de collaborer, aussi bien avec ses collègues qu’avec les parents, d’utiliser tous les outils nécessaires pour faciliter cela.
Je trouve fortement regrettable d’entendre encore des parents mauriciens dire qu’ils ont choisi « d’inscrire leurs enfants dans une école privée car le système mauricien ne répond pas à leurs attentes ». Ces parents-là sont souvent de classe moyenne ou supérieure, ayant les moyens de payer les frais de scolarité d’une école privée. Mais qu’en est-il de ces mauriciens de classe sociale plus modeste ?
Je suis un enfant de la République Française, fille d’une femme de ménage et d’un jardinier. La France m’a donné la chance d’accéder à une éducation de qualité et gratuite. J’ai aussi pu étudier à l’université grâce au système de bourses, des bourses basées sur les revenus de mes parents et non pas sur le fait que j’ai été lauréate. Si j’étais née à Maurice, il en aurait été autre… et c’est là où je repose cette question : mais qu’en est-il de ces mauriciens de classe sociale plus modeste ?
Imaginez un peu ce qu’il peut se passer dans la tête de ces enfants ou adolescents : « Parce que mes parents ne sont pas aisés alors je n’ai pas la chance de suivre une bonne éducation ? Peut-être même que mon milieu social induit que je suis inférieur intellectuellement pour ne pas avoir l’opportunité d’étudier ? ». Dès le plus jeune âge, le fossé est là avec toutes les complexités psychologiques que cela implique. Avant même de commencer sa vie d’adulte, cet individu sera rongé par un sentiment de rancœur, d’infériorité, d’injustice…et est-ce que c’est cela que l’éducation veut transmettre ? Quel message avons-nous transmis ? Que les pauvres restent des pauvres et les riches restent des riches ?
Ces questions-là je me les suis posées enfant. J’étais animée par le désir de montrer que je pouvais réussir malgré mon milieu social. J’ai eu la chance d’être mélangée à des gens de tous niveaux sociaux et culturels, de rencontrer des profs encourageants qui se basaient sur le mérite et pas le nom de famille, d’accéder à une université de qualité, d’avoir une année financée à l’étranger pour poursuivre mon cursus et m’ouvrir à d’autres perspectives… bref j’ai eu la chance de bénéficier d’un bon système éducatif qui a largement contribué à l’adulte que je suis aujourd’hui.
J’ai envie de dire mais qu’attend le gouvernement mauricien pour enfin comprendre qu’il faut tout miser sur l’éducation si l’on veut vraiment faire avancer ce pays ?
Alors si vous me le permettez, voici ce que je suggère pour le primaire et pourquoi :
1. Abolir tous les examens de type PSAC
Tout d’abord ces examens évaluent seulement de la connaissance et il faut considérer l’enfant comme un tout, pas seulement comme un puits de science. Ce n’est pas parce qu’un enfant connait toutes les dates importantes de l’histoire de Maurice que l’on peut donc formellement dire que cet enfant va être capable de prendre une initiative face à une situation inconnue. Et ce n’est pas parce qu’un enfant ne connait pas ces mêmes dates qu’il est incapable de réfléchir, d’aller chercher une information.
Aussi les enfants sont sujets au stress et peuvent perdre leurs moyens lors d’un examen. Dans ce cas, est-ce vraiment le reflet de leurs compétences ? Si compétences évaluées il y a… Bref, au final, il est préférable d’observer un enfant qui se donnera les moyens d’aller chercher la réponse plutôt que de l’apprendre par cœur. Cet enfant-là sera un adulte débrouillard et curieux et qui saura tirer parti des situations imprévus.
Les objectifs de la réforme « Nine Year Schooling» sont « de développer la réflexion critique, la créativité, la conscience du monde global, le sens de l’initiative, etc… » Mais je ne vois rien de tout cela dans les examens du PSAC Grade 5 et 6. Vous me direz c’est un programme sur neuf ans, certes, mais si ces attitudes et compétences ne sont pas déjà développées dès le primaire, alors il sera plus difficile de changer ces automatismes de « par cœur » au secondaire. Il est vital de mettre en place un réel changement dès le primaire.
Apprendre c’est pour une vie, pas juste pour un examen. Il faut donc enseigner à aimer apprendre, avant d’évaluer.
2. Évaluer de façon continue, holistique et sans attribuer de note
Plutôt que de donner un test classique qui une fois de plus évalue les connaissances à un moment donné, je pense qu’il faut se poser la question : que voulons-nous transmettre ? qu’est-ce qui est important entre 6 et 11 ans ? Si je pose la question aux parents, la majorité vous répondra « je veux que mon enfant soit heureux ». Alors certes il serait difficile d’évaluer le bonheur de chaque enfant, mais par contre on pourrait largement y contribuer et évaluer sa façon d’interagir avec les autres, sa compassion et son désir d’aider, de protéger la planète, etc…On pourrait évaluer sa faculté à réfléchir, à se poser des questions, évaluer le processus plutôt que le résultat final.
Pour cela, il faut aussi mettre en place différents styles d’évaluations, pas seulement par écrit comme on le fait actuellement. On peut évaluer un enfant oralement par exemple. C’est aussi un très bon moyen d’évaluer sa compréhension et pourquoi aurait-elle moins de valeur qu’une évaluation écrite, alors que nous vivons actuellement dans un monde digitalisé qui communique beaucoup à travers les images ?
L’évaluation devrait avoir pour but de guider l’élève dans les domaines et compétences où il pourrait s’améliorer plutôt que de le sanctionner. L’évaluation devrait aussi servir de guide pour les enseignants afin de mieux répondre aux besoins des élèves au lieu d’enregistrer un résultat sans finalement se remettre en question et se dire que peut-être il faudrait essayer une autre façon d’enseigner.
3. Revoir le contenu des programmes d’histoire-géographie
Alors que je consultais le « past paper » 2019 du PSAC, j’étais très surprise de voir que la majorité des questions portaient sur l’histoire et la géographie mauricienne. Quand je lis une nouvelle fois les grandes lignes du « Nine Year Schooling», il est dit que l’on souhaite conscientiser les élèves au monde, à la multi culturalité. Pourquoi cette ouverture au monde n’est pas reflétée dans le PSAC ?
Je ne dis pas qu’il ne faut pas faire d’histoire et géographie de l’ile Maurice, bien au contraire cela est vital afin de permettre à l’enfant de mieux comprendre son identité, mais peut-être qu’il faudrait faire des liens avec le monde extérieur ? Par exemple étudier les migrations dans le monde en dressant un parallèle avec l’histoire de Maurice ?
Une remise en question est nécessaire à tous les niveaux pour dépasser les barrières et les idées toutes faites, pour mieux connaître l’autre culture et pour se faire une opinion de quelqu’un en considération de sa personne et non de sa communauté. En offrant une fenêtre ouverte sur l’extérieur, on pourrait arriver à une dimension plus multiculturelle et internationale.
4. Organiser plus de visites et d’excursions
C’est une réalité, certaines familles « voyagent » très peu à l’intérieur de l’ile Maurice et il m’est arrivée de croiser des mauriciens qui me disaient n’être jamais allés au Morne par exemple. Je pense qu’il est vital, pour que l’histoire et la géographie deviennent une réalité, de visiter les sites clés de l’histoire mauricienne. Ne trouvez-vous pas aussi curieux de demander à un enfant de connaitre toutes les montagnes de Maurice si celui-ci n’en a jamais escaladé une ? Peut-être qu’il y aurait là une opportunité pour faire ce qu’on appelle du « transdisciplinaire » et lier l’éducation physique à la géographie ? Ceci n’est qu’un exemple, mais pour qu’un enseignement soit le plus motivant, il est nécessaire de le ramener à quelque chose d’authentique et de réel. Ce sont aux professeurs de donner cette opportunité aux enfants à travers les excursions et les visites. L’enseignement doit aussi se faire en dehors de la salle de classe. C’est aussi un premier pas vers une meilleure ouverture d’esprit et une appréciation de la beauté autour de nous.
5. Appliquer des concepts enseignés dans la vie de tous les jours
Comme je le disais plus haut, il est vital de rendre l’enseignement concret et de le ramener à notre vie de tous les jours. Par exemple dans le programme de science, il est enseigné des concepts vitaux en matière d’environnement comme les sources d’énergies renouvelables, le tri des ordures et le recyclage, les écosystèmes, etc… Malheureusement la situation à Maurice est encore à améliorer en matière d’écologie et peut-être qu’il faudrait aller au-delà de l’apprentissage des faits mais d’apprendre aux enfants à se responsabiliser et développer leur désir de changer les choses pour un monde plus respectueux de notre planète. Cela pourrait être par l’implémentation d’un système de recyclage dans chaque école, une prise de conscience de réduction de l’énergie (lumière allumée en pleine journée), préserver l’eau (fermer les robinets systématiquement), bannir les bouteilles en plastique et demander aux parents de fournir une gourde, etc…Cette prise de conscience doit être faite avec les enseignants qui doivent être des « modèles » avant tout. Elle doit être pérennisée si l’on veut un réel changement au-delà de l’école.
6. Bannir les « tuition »
C’est une réalité, beaucoup de professeurs donnent des cours après l’école. Quand j’interroge les parents, ils me disent tous qu’ils n’ont pas le choix, que c’est le seul moyen pour que leur enfant réussisse les examens de fin d’année.
Voici encore une fois une raison pour laquelle les examens au primaire ne sont pas une bonne idée. Ils mettent aussi une pression sur les parents. Je pense qu’il serait plus judicieux de mettre en place un système d’activités extrascolaires après l’école. Cela permettrait à l’enfant de développer d’autres compétences, de se sociabiliser, d’améliorer ses performances artistiques, sportives, de collaborer avec des ONG, de monter des projets à but écologique, etc… Quand on parle d’enseignement holistique, il s’agit de sortir du cadre académique et d’aider les enfants à développer les compétences que leurs futurs employeurs rechercheront.
Cela serait aussi un bon moyen pour les enseignants de se faire un revenu supplémentaire autre que les cours privés.
7. Se positionner sur la langue principale
Le contexte mauricien est très complexe d’un point de vue linguistique. Ce qui m’interpelle le plus est que l’anglais est la langue d’enseignement, le « medium », mais quand on regarde une fois de plus le PSAC français, l’examen est basé sur les mêmes types de questions que pour l’anglais, ce qui veut dire que les attentes et les objectifs en français sont exactement les mêmes qu’en anglais, alors que l’enseignement est en anglais. Comment peut-on exiger d’un enfant qu’il maitrise parfaitement l’anglais et le français quand le professeur communique en anglais et que sa langue maternelle est une troisième langue, à savoir le créole ?
Encore une fois, il est mis énormément de pression sur l’enfant en lui demandant d’être trilingue, et pire encore de maîtriser toutes les subtilités de la langue française et anglaise à 11 ans. Je pense qu’il est primordial de se positionner très clairement sur la langue principale et sur les objectifs de la deuxième langue, à savoir le français. Peut-être qu’il faudrait alléger le programme des conventions, grammaire, conjugaison et se concentrer plus sur la langue comme un outil de communication. Je ne nie absolument pas l’importance et l’atout d’un multilinguisme. Je pense justement qu’en apprenant des langues supplémentaires, les élèves gagnent de la souplesse sur le plan cognitif, développent leur créativité, parviennent mieux à résoudre les problèmes et sont plus sensibles au monde qui les entoure. Grâce aux langues, les élèves rassemblent et comparent des points de vue, et font preuve d’empathie, de compassion et de respect.
Ma question est plutôt sur les objectifs du programme. Est-il primordial de connaitre le nom du petit du sanglier pour affirmer maitriser le français à 11 ans ? Est-il primordial d’être incollable sur les terminaisons de l’imparfait pour affirmer être un parfait communiquant à 11 ans ?
Il faut repenser l’enseignement et les contenus. Il faut un équilibre entre apprendre à travers la langue, apprendre la langue et apprendre ce qu’est la langue. Je vois trop de conventions, de conjugaisons dans les manuels et je pense qu’il faudrait alléger tout cela et équilibrer avec la communication orale. Cela passe notamment par les technologies numériques qui offrent d’immenses possibilités d’expression et peuvent toucher un public très vaste.
8. Continuer d’encourager le créole comme « medium »
Je pense profondément que la langue maternelle est cruciale pour faire passer des concepts et accéder à la compréhension. Certes l’anglais ou le français sera plus utile à l’échelle internationale, mais ne pas utiliser le créole pour expliquer une tâche serait une erreur pédagogique face à un enfant en échec.
Elle doit cependant servir comme moyen d’enseigner plutôt qu’une matière. Je ne suis pas convaincue de l’utilité de passer un examen de créole pour un enfant du 21ième siècle, même en option.
9. Intégrer la technologie dans tous les cours
Il est primordial à l’heure numérique que tous les élèves et les professeurs intègrent l’outil informatique à tous les niveaux éducatifs. Les technologies informatiques permettent d’interagir, de communiquer, de collaborer, et d’échanger des informations à une échelle internationale. Elles permettent aussi de ramener l’apprentissage à du réel, de l’authentique. Elles permettent aux élèves de devenir plus autonomes en accédant à l’information par eux-mêmes.
Pour cela, il est capital d’investir dans la formation des enseignants afin qu’ils soient à jour des nouvelles technologies, créer des postes de « coordinateurs numériques » ou « coach en technologies » pour les professeurs plus expérimentés afin qu’ils partagent leur savoir, forment leurs collègues et qu’une vraie collaboration opère.
Il faut aussi équiper les salles de projecteurs et que chaque professeur dispose d’une tablette afin de faciliter une utilisation quotidienne. L’école pourrait aussi s’équiper d’un lot de tablettes que les classes utiliseraient à tour de rôle afin que les élèves se familiarisent avec les outils.
Les technologies de l’information et de la communication constituent l’un des facteurs marquants de notre société. Le domaine de l’enseignement n’y échappe pas et de nombreux gouvernements ont déjà investi dans ce secteur et montré plus d’efficacité́ de leurs systèmes éducatifs.
10. Récompenser les profs prêts à innover dans des classes pilotes
Innover requiert beaucoup de patience et de labeur. Les changements ne s’opèreront pas d’un coup de baguette magique. Je pense que les changements doivent se faire en douceur, par une équipe de professeurs sélectionnés pour leur ouverture d’esprit et capacité à prendre des risques. Ces professeurs passionnés qui seront les premiers acteurs du changement devraient être encouragés par l’attribution d’une prime pour les projets qu’ils piloteront. A l’issu de leur année en « classe pilote », ils devront partager avec leurs supérieurs et collègues, les fruits de leurs innovations pédagogiques.
Dans des classes homogènes, les cours classiques passent bien, mais dans celles qui accueillent des élèves plus en difficulté, les enseignants sont amenés à imaginer d’autres pédagogies pour capter l’attention des élèves. L’innovation devient donc une nécessité.
11. Accorder une prime aux professeurs enseignants dans des zones difficiles
Plus haut, j’évoquais le fait d’accorder une prime aux enseignants innovants. Je pense aussi qu’il faut reconnaitre que certaines zones géographiques sont plus difficiles que d’autres. Il n’est plus concevable que les quartiers, où la difficulté sociale et scolaire se concentre, soient confrontés à l’impossibilité de recruter des enseignants, qu’il y ait un trop grand « turnover » des équipes, avec des enseignants qui demandent rapidement à enseigner ailleurs.
Il ne s’agit pas de mettre en concurrence des enseignants mais de rémunérer leurs efforts afin de continuer à les attirer même dans des zones difficiles.
12. Réduire à 25 le nombre d’enfants par classe
La surcharge des salles de classe est sans doute le premier changement à opérer. Au-delà de 25 élèves, il devient compliqué, sauf dans une classe avec un très bon niveau, de donner un enseignement de qualité. Il devient aussi compliqué pour l’élève de s’impliquer, de prendre la parole ou de collaborer au sein d’un groupe. Si l’on veut pouvoir mettre en place toutes les innovations pédagogiques mentionnées plus haut, il faudra réduire considérablement le nombre d’élèves par classe.
Cela impliquera sans doute la construction de nouvelles classes ou le réaménagement de certains espaces. Pour répondre à ces besoins, le gouvernement devra faire un effort financier considérable sur le budget de l’éducation.
13. Proposer des réponses adaptées pour une école inclusive
Il sera aussi nécessaire dans le futur d’avoir un département d’aide aux élèves en difficultés scolaires, ayant des troubles de l’apprentissage et pour lesquels des aménagements et adaptations pédagogiques sont nécessaires, afin qu’ils puissent poursuivre leur parcours scolaire dans les meilleures conditions.
Une équipe d’enseignants spécialisés pourrait donc créer un plan d’accompagnement personnalisé, un dispositif d’accompagnement pédagogique qui s’adresse raient aux élèves qui connaissent des difficultés scolaires.
En conclusion, je voudrais simplement réitérer que l’éducation est l’un des investissements les plus importants qu’un pays puisse faire dans son peuple et son avenir. Une éducation de qualité contribuera à réduire la pauvreté, promouvoir la paix et favoriser le développement du pays.